Homélie à Ars au Foyer sacerdotal Jean-Paul II

Cardinale Marc Ouellet

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Lundi de la III semaine du temps ordinaire

Ars, 23 janvier 2017

« Peuple de prêtres, prêtres pour le peuple »

(He 9, 15.24-28; Mc 3, 22-30)

 

La liturgie du jour nous offre les textes sacerdotaux les plus appropriés pour l’événement qui nous rassemble. D’une part, la Lettre aux Hébreux parle de la Nouvelle Alliance fondée sur l’unique sacrifice du Christ offert une fois pour toutes; d’autre part, l’Évangile de Marc nous montre la confrontation de Jésus avec le royaume de Satan et son pouvoir sur les démons, ce qui nous rappelle le dur combat du Saint Curé d’Ars pour le chasser de sa paroisse.

Notre identité sacerdotale provient de ces textes, remercions Dieu de les méditer ensemble en contexte liturgique où la Parole divine acquiert  une vertu performative singulière, du fait de son accomplissement dans le mystère pascal que nous célébrons. Que l’Esprit Saint ouvre nos esprits et nos cœurs à cette Parole et rende tout notre être disponible à sa lumière et à sa grâce.  

Commençons par l’Évangile de Marc qui proclame : « C’en est fini du royaume de Satan » puisque le Règne de Dieu fait irruption dans le monde en Jésus, qui chasse les démons et qui avertit solennellement ceux qui refusent d’y voir le signe du salut de Dieu.

Quelques scribes interprètent en effet ses exorcismes comme une œuvre satanique, ce qu’il ne peut laisser passer car c’est le comble du mensonge. C’est pourquoi il leur adresse un avertissement parmi les plus durs du Nouveau Testament : « Tout sera pardonné aux enfants des hommes : leurs péchés et les blasphèmes qu’ils ont pu proférés. Mais si quelqu’un blasphème contre l’Esprit Saint, il n’aura jamais de pardon. Il est coupable d’un péché pour toujours ».     

Quand l’aveuglement des opposants arrive au point de nier l’évidence de la lumière du jour, des généralités sur la miséricorde n’ont aucun effet, il faut frapper fort et précis pour tirer ces pécheurs de leur aveuglement coupable. En parlant du blasphème contre l’Esprit-Saint, Jésus évoque ici indirectement l’enfer éternel parce qu’une telle fermeture d’esprit y conduit et il veut les prévenir pour que le doute s’installe dans leur esprit et les fasse réfléchir sur les conséquences de leur attitude. Car celui qui traite Jésus de Béelzéboul renie le Christ en  refusant la lumière de l’Esprit qui confirme aux auditeurs, par la foi, que le salut de Dieu est à l’œuvre dans les paroles et les gestes de Jésus. D’où l’avertissement péremptoire et solennel de Jésus qui est une grâce pour les cœurs endurcis, car seule la perspective d’une condamnation définitive peut les remettre en cause. Après un tel avertissement les scribes de tous les temps n’ont qu’à bien se tenir pour ne pas tomber dans l’Enfer éternel où conduit l’aveuglement coupable et où personne d’autre que le Christ peut les empêcher de tomber.

Notons au passage que notre bon Pape François, si porté au langage de la miséricorde, interpelle parfois durement certains scribes et pharisiens de notre époque qui ne sont pas conscients de faire obstacle au Règne de Dieu par leur attitude. Prions pour eux et pour l’unité de l’Église.

La Lettre aux Hébreux nous présente l’Acte final du grand combat de Jésus contre Satan dont témoigne l’Évangile : Le Christ s’est offert lui-même en sacrifice, une fois pour toutes, pour enlever les péchés de la multitude et donner l’héritage éternel promis à ceux qui sont appelés et qui croient en Lui. Voilà le sommet de son sacerdoce, le sacrifice pascal de la Nouvelle Alliance qui fonde simultanément le « peuple de prêtres  et les prêtres pour ce peuple », appelés ensemble à être sacrement du salut pour l’humanité.

« Le sacerdoce, c’est l’Amour du Cœur de Jésus », répétait, ému, le saint Curé d’Ars. Un amour qui descend du ciel pour entrer dans la prison de chaque pécheur, le délier de ses chaînes, le sortir de ses ténèbres et l’exposer enfin à la lumière de la Grâce. Un amour qui transforme le pécheur de l’intérieur et le rend capable de remonter vers le Père avec Jésus dans une étreinte de pardon et de réconciliation.

Ainsi le sacerdoce du Cœur de Jésus, sacerdoce descendant et ascendant, paternel et filial, donne la capacité d’une part d’être médiateur avec Lui dans l’unité avec tout le peuple saint de Dieu, un vrai peuple de prêtres, médiateur du salut pour l’ensemble de l’humanité; d’autre part, certains sont choisis et placés à la tête de ce peuple au nom du Christ, afin de représenter le Père avec Lui, comme humbles serviteurs de la Parole et des sacrements de la Nouvelle Alliance.

Le Saint Sacrifice que nous allons maintenant offrir au Père du plus profond de l’union nuptiale du Christ et de l’Église nous rappelle quotidiennement qui nous sommes et ce que nous devons faire au service de ce peuple de prêtres : l’éclairer par la Parole de Dieu, le nourrir de l’Eucharistie, le guider et même le corriger à l’occasion pour que Dieu règne en son sein par l’Amour authentiquement vécu et répandu et l’Espérance ainsi offerte concrètement à un monde en attente de salut.  

Chers amis, évêques, prêtres, diacres, laïcs et personnes consacrées, célébrer ensemble à Ars est toujours pour moi et sans doute aussi pour vous un rappel de la merveille du sacerdoce. Le saint Curé d’Ars qui a soutenu un dur combat contre Satan, ne s’est pas distingué seulement ni d’abord, par sa performance de vertus héroïques, mais plutôt par son humble combat quotidien du pauvre pécheur accroché au manteau de la Vierge Marie, qui a converti sa paroisse et confessé la France, par la force invincible de la Grâce en son humilité souveraine, nourrie chaque jour de la contemplation de la Sainte Eucharistie. La sainteté du Curé d’Ars resplendit dans sa passion indomptable pour convertir sa paroisse. N’est-ce pas là la véritable sainteté du ministre du Christ, sacrement du Père miséricordieux : sanctifier ses enfants, activer leur sacerdoce filial, les aimer en leur donnant le bonheur du don de soi porteur de l’Esprit?

Chers amis, demandons la grâce d’un renouveau sacerdotal pour notre temps qui engage autant « le peuple de prêtres que les prêtres pour ce peuple » et qui laisse davantage transparaître la communion d’Amour trinitaire que Jésus est venu répandre sur la terre comme un feu. Amen!             

Marc Card. Ouellet

Ars, 23 janvier 2017