19 octobre 2017 - Homélie pour le 150e anniversaire de la Confédération Canadienne

Cardinale Marc Ouellet

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SAINTS MARTYRS CANADIENS

150ième anniversaire de la Confédération canadienne

Rome, 19 octobre 2017

 

« J’en ai la certitude, écrit saint Paul aux Romains, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus Notre Seigneur »

 

Chers amis,

Le 26 septembre dernier, j’ai eu le bonheur et le privilège d’accompagner la Conférence des évêques catholiques du Canada à une concélébration solennelle d’Action de grâce à la Cathédrale Notre-Dame d’Ottawa, à l’occasion du 150ième anniversaire de fondation de la Confédération canadienne. Cette manifestation de foi a été couronnée par un acte de consécration de notre pays au Cœur immaculé de Marie, en syntonie avec le centenaire des apparitions de la Vierge aux trois enfants de Fatima, apparitions reconnues authentiques par l’Église Catholique et qui portent au monde entier un message de conversion, de prière et de paix.

Je remercie Monsieur l’Ambassadeur du Canada auprès du Saint Siège, Son Excellence Denis Savoie, d’avoir voulu associer les canadiens et canadiennes de passage dans la ville éternelle et leurs amis à cette action de grâce en la fête des Saints Martyrs Canadiens et dans la paroisse romaine qui honore leur mémoire.

La parole de Dieu de la liturgie de ce jour nous interpelle en des termes qui expliquent pourquoi les premiers missionnaires jésuites en Nouvelle France ont laissé une trace aussi glorieuse et un héritage aussi important dans l’histoire du Canada. Isaac Jogues, René Goupil, Jean de Bréboeuf, et leurs compagnons ont donné leur vie et versé leur sang pour transmettre au Nouveau Monde la lumière de l’Évangile. Ils sont des pionniers de la première évangélisation des nations amérindiennes en Amérique du Nord. Leur témoignage de foi et d’amour héroïque a rayonné surtout auprès de la nation huronne qui les a accueillis lentement et non sans une forte résistance, embrassant vraiment la foi chrétienne après le sacrifice suprême des martyrs jésuites. Cette fière nation huronne, décimée par les maladies transmises par les Européens, fut ensuite victime des guerres tribales et dispersée aux quatre vents, donc presque exterminée comme nation; mais sa dispersion a été féconde en ce qu’elle a contribué à faire connaître l’Évangile à d’autres communautés amérindiennes. N’oublions pas de reconnaître aussi leur lourd sacrifice et leur témoignage en célébrant la mémoire des martyrs canadiens.

Le livre de la Sagesse déclare que « les âmes des justes sont dans la main de Dieu »; « Dieu les a éprouvés et les a trouvés dignes de lui; comme l’or au creuset, il les a épurés, comme l’offrande d’un holocauste, il les a accueillis ».  Et l’évangile de saint jean ajoute : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ». Ces paroles de la Saint Écriture collent parfaitement à la vie et au martyre de Bréboeuf et de ses compagnons, mais elles éclairent aussi tous les témoignages (martyria) de foi et de charité qui ont été soutenus par leur sacrifice tout au long de notre histoire. Je suis sûr que nos martyrs se réjouissent du haut du ciel de partager leur gloire avec leurs ouailles gagnées à gros prix, et qu’ils partagent la joie d’une commune intercession pour l’annonce de l’Évangile et le renouveau de la vie chrétienne en notre pays.

Qu’il me soit permis de souhaiter en cet anniversaire que les nations amérindiennes, chassées de leur territoire et parquées dans des réserves par les intérêts des conquérants, soient aujourd’hui davantage entendues et respectées dans leur dignité; qu’elles soient mieux intégrées à la société canadienne grâce à un dialogue authentique de vérité et de réconciliation déjà en cours mais encore à parfaire; que ce dialogue s’inspire de l’esprit des premiers missionnaires, si respectueux de leur culture et si engagés à leur fournir des outils capables de la consolider et de la perpétuer. Il fallut 15 ans aux premiers jésuites pour se familiariser avec la langue huronne et créer une grammaire, pour s’habituer à leurs coutumes et adopter leurs conditions de vie et même leurs conflits tribaux, au point d’en arriver à partager leur destin jusqu’à l’expérience du martyre. Puisse la force de cette solidarité des origines se renouveler, redevenir créatrice et réconciliatrice, afin que la lumière de l’Évangile continue à éclairer notre société aujourd’hui plus tentée de tourner le dos à son héritage chrétien et d’adopter d’autres idéaux moins exigeants.

« J’en ai la certitude, écrit passionnément saint Paul, ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur ». Pour nous chrétiens, célébrer un anniversaire civil important de notre pays en cette fête liturgique, c’est faire mémoire de cet Amour fou et invincible de Dieu qui est la source et le secret de tous les héroïsmes missionnaires et de tous les dévouements authentiques au service du bien commun d’un pays. Le cœur de l’homme est créé à l’image de Dieu et il ne peut trouver son bonheur ultime que dans la plénitude à laquelle il aspire et qui lui est gracieusement et gratuitement donnée en Jésus Christ. Prions donc, frères et sœurs, pour que la foi en cet Amour invincible  de Dieu qui est dans le Christ s’épanouisse en notre culture actuelle trop peu consciente de ses valeurs fondatrices et trop oublieuse du terreau évangélique sur lequel tant de chrétiens et chrétiennes de notre pays ont contribué à édifier une société harmonieuse et pacifique.

Le geste de consécration de notre pays au Cœur immaculé de Marie, à l’initiative de la Conférence épiscopale réunie en assemblée plénière, a valeur de signe et de promesse. Par-delà les différences de cultures et de sensibilité religieuse ce signe révèle l’unité de la grande famille catholique autour de la Mère de Dieu et de l’Église. Ce geste symbolique nous émeut parce qu’il réveille l’enthousiasme de notre foi et ravive notre espérance d’un témoignage plus convaincant de continuité spirituelle avec nos devanciers. Car ne faut-il pas le redire et le démontrer : l’Esprit des premiers martyrs n’est pas disparu, leur patience dans les épreuves et leur persévérance dans la mission nous accompagnent toujours et nous encouragent à ne pas baisser les bras malgré les vents contraires qui secouent nos trop faibles convictions.

Souvenons-nous de Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de ses reliques qui ont déjà fait plusieurs traversées du Canada d’un océan à l’autre. La petite carmélite de Lisieux, patronne universelle des missions depuis son cloître, entretenait une profonde amitié avec un prêtre missionnaire au Grand Nord canadien. Quel beau symbole de solidarité catholique qui nous remémore la vocation missionnaire du Canada des origines et sa vocation d’accueil des migrants d’aujourd’hui. Puisque nous avons été nous-mêmes généreusement accueillis en cet immense pays, ne nous contentons pas de jouir de ses avantages et de profiter de ses richesses, mais ouvrons toujours plus nos frontières, nos villes et nos cœurs aux nombreux réfugiés de notre époque bouleversée. Nos racines chrétiennes nous empêchent de nous replier sur nous-même dans un confort égoïste et indifférent à la misère des pauvres.  Un anniversaire comme le 150ième n’est-il  pas une opportunité pour réfléchir à ce que nous sommes devenus comme société et pour nous demander comment nous pourrions être plus fidèles à l’héritage de nos pères au plan civil et aussi au plan religieux? Quelles initiatives audacieuses de fraternité et de solidarité ne sont-elles pas possibles et même réclamées d’une société comme la nôtre à cause de son histoire et de ses ressources!

Réjouissons-nous frères et sœurs en cette fête des Saints Martyrs canadiens que nous célébrons dans la ville éternelle où résonne la prédication prophétique du pape François. Le Saint Père venu de l’Amérique du Sud nous empêche de nous asseoir sur nos lauriers et de nous assoupir dans un bien-être indifférent à la misère du pauvre Lazare à notre porte. Que l’intercession des Saints Martyrs associée à celle de la Vierge immaculée nous garde éveillés en notre foi et généreux dans l’Amour que nous puisons abondamment à la  source de la Sainte Eucharistie. Que nous partagions cet amour invincible entre nous et autour de nous en témoignage de gratitude pour la mort et la résurrection de Jésus Christ Notre Sauveur. Amen! 

Card. Marc Ouellet, Préfet de la Congrégation pour les Evêques